Qu’est-ce que la « polarisation« , un terme central dans notre analyse.
La polarisation, ou plus précisément la division idéologique extrême, désigne les différents processus par lesquels les opinions, les croyances ou les attitudes des individus ou des groupes se scindent en deux pôles opposés et radicaux, éloignant les positions modérées et centrales pour diriger et favoriser ces extrêmes idéologiques. (https://www.populismstudies.org/Vocabulary/political-polarization/)
Cette définition, issue de discussions en sciences politiques, souligne comment cette division extrême transforme les débats en affrontements binaires, où le compromis devient rare et la compréhension mutuelle, difficile.
Une étude publiée en 2022 dans « Social Psychological and Personality Science« , intitulée « Quand l’histoire semble se répéter : l’exposition aux leçons perçues du passé influence les prédictions sur les événements politiques actuels » révèle que l’exposition répétée à des analogies historiques extrêmes peut altérer les prédictions et jugements politiques des sujets, avec un effet particulièrement marqué chez ceux ayant une connaissance limitée du sujet, atteignant un coefficient d’effet de -0.24, soit environ 25 % d’influence accrue pour les individus moins informés.(https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC8932355/)
Cette recherche, menée par Djouaria Ghilani et ses collaborateurs, démontre comment des comparaisons simplifiées – comme celles entre des événements historiques et des crises contemporaines – peuvent déformer la réalité, poussant les individus vers des visions divisées en extrêmes plutôt que nuancées.
Cette étude illustre parfaitement ce phénomène d’altération du jugement par des analogies extrêmes.
Elle éclaire un phénomène plus large : la division idéologique extrême créée par les médias, certains universitaires et influenceurs, qui renforcent les clichés, les caricatures et les raccourcis intellectuels.
Au lieu de refléter la « densité du réel » – cette expression chère au philosophe français Louis Lavelle, qui désigne la richesse infinie et multidimensionnelle de l’existence, où chaque événement est tissé de multiples couches et contradictions, comme il l’évoque dans « La Dialectique du Monde Sensible » en parlant de l’analyse qui ne parvient jamais à épuiser le réel – ces entités favorisent une vision binaire, noir ou blanc, qui occulte la complexité véritable.
Sous l’influence des médias et de certains militants universitaires et influenceurs, cette « densité du réel » est aplatie en caricatures binaires, servant des agendas orientés et manipulant la pensée collective.
Les mécanismes de la division idéologique extrême dans les médias.
Les médias, qu’ils soient traditionnels mainstream ou numériques alternatifs, jouent un rôle pivotal clé dans cette distorsion.
Noam Chomsky, linguiste et critique acerbe du pouvoir médiatique, a longuement analysé comment les médias fabriquent le consentement.
Dans son ouvrage « Media Control« , il affirme : « La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à l’État totalitaire.«

Chomsky explique que les médias limitent le spectre des opinions acceptables, permettant un débat vif mais confiné à des pôles extrêmes, renforçant ainsi cette division idéologique extrême où les opinions se radicalisent et s’opposent farouchement. Par exemple, dans les débats sur le changement climatique ou les migrations, les positions sont réduites à « catastrophistes » versus « négationnistes« , ignorant les nuances scientifiques et humaines.
Cette binarité favorise les clichés : les migrants deviennent soit des « envahisseurs » soit des « victimes innocentes« , sans explorer les contextes économiques ou culturels complexes.
Les caricatures pullulent, comme dans les réseaux sociaux où les algorithmes amplifient les contenus extrêmes pour maximiser l’engagement.
Une étude sur les effets d’écho dans les plateformes de vidéos courtes, publiée en 2023, montre comment ces algorithmes renforcent les opinions préexistantes, créant des bulles idéologiques où la nuance est absente. (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC10111082/)
Résultat : une vision du monde en noir et blanc, où l’autre est démonisé, et où la réflexion mesurée cède la place à l’émotion incontrôlée.
Les universités, censées être des bastions de la pensée critique, contribuent paradoxalement à cette division idéologique extrême : Jonathan Haidt, psychologue social, observe dans ses travaux sur la polarisation que « les universitaires se lient en équipes politiques qui partagent des narratifs moraux. Une fois qu’ils acceptent un narratif particulier, ils deviennent aveugles aux mondes moraux alternatifs. » (https://jonathanhaidt.com/politics/)
Dans les campus américains et européens, les départements des sciences humaines sont dominés par des idéologies progressistes, où les voix conservatrices sont marginalisées, créant une caricature de la diversité intellectuelle.
Haidt note que cette division croissante, exacerbée depuis les années 2010, mène à une augmentation des crimes de haine et à une fragmentation sociale décrite dans son article « La spirale de la polarisation ». (https://www.stern.nyu.edu/experience-stern/faculty-research/the-polarization-spiral)
Les clichés et caricatures comme outils de manipulation.
Caricaturer et partager des clichés et raccourcis n’est pas innocent car ils servent une manipulation sociale orientée. Hannah Arendt, dans « Les origines du Totalitarisme« , avertit que « dans un monde en perpétuel changement et incompréhensible, les masses arrivent à croire tout et rien en même temps, et à penser que tout est possible et que rien n’est vrai. » (https://philosophybreak.com/articles/hannah-arendt-5-insights-into-totalitarianism/)
Arendt décrit comment cette confusion est créé et utilisée pour imposer des visions binaires : ami/ennemi, pur/impur.
Les médias et universités reproduisent ce mécanisme en favorisant la division idéologique extrême, contrôlant ainsi la pensée.
Au lieu d’une réflexion élaborée, on assiste à une manipulation où les directions choisies – souvent alignées sur des intérêts économiques ou politiques – sont imposées.
Chomsky dit clairement que le moyen intelligent de garder les gens passifs et obéissants est de limiter strictement le spectre des opinions acceptables, mais d’autoriser un débat très vif dans ce spectre.
Les raccourcis intellectuels abondent et les médias utilisent des analogies extrêmes – comparer un politicien à Hitler ou un mouvement social à une révolution – pour altérer le jugement.
Car comme le montre l’étude publiée en 2022 dans « Social Psychological and Personality Science« : l’exposition répétée à des analogies historiques extrêmes peut altérer les prédictions et jugements politiques des sujets, avec un effet particulièrement marqué chez ceux ayant une connaissance limitée du sujet.
Cela favorise une vision non fidèle à la complexité plutôt qu’un processus nuancé. Et surtout cela force le public à rester dans ce cadre extrême et caricatural, tout en le définissant constamment comme réel pour renforcer son ancrage et sa force dans l’imaginaire collectif. Alors que bien sûr ce cadre est en fait un cliché grossier et malsain construit à dessein pour orienter le public dans des directions voulues.
La « densité du réel » de Louis Lavelle comme antidote oubliée.
Louis Lavelle, philosophe du XXe siècle, offre une perspective rafraîchissante.

Dans ses écrits, comme dans « La dialectique du monde sensible« , il évoque la « densité du réel » comme la profondeur infinie de l’être, où chaque moment est saturé de possibilités et de contradictions. Le réel n’est pas binaire ; il est dense, pluriel, demandant une réflexion mesurée. Lavelle écrit que l’analyse ne parvient jamais à épuiser le réel, soulignant sa plénitude.
Les médias et certains universitaires et influenceurs, en promouvant des visions binaires, trahissent cette densité, poussant les individus vers des directions orientées.
Cette manipulation contrôle comment les gens pensent. À l’école et dans les universités des programmes orientés renforcent souvent les narratifs, formant des générations à penser en termes binaires plutôt que complexes.
Conséquences sociales et chemins vers une réflexion plurielle.
Les conséquences de cette division idéologique extrême sont graves et poussent à une augmentation de la fragmentation sociale.
Pour contrer cela, il faut promouvoir une pensée dialectique, embrassant la nuance.
Arendt nous rappelle que la vérité factuelle peut survivre aux distorsions tout comme Chomsky et Haidt nous invitent à résister à la caricature, aux clichés et aux raccourcis.
En conclusion, cette division idéologique extrême n’est pas inévitable.
En reconnaissant les mécanismes de manipulation et en cultivant une réflexion élaborée, nous pouvons restaurer une vision plurielle du monde.
Comme le dit Lavelle, le réel est dense ; il est temps de l’explorer dans toute sa profondeur.







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