Le “marxisme culturel” en France, ses origines, ses concepts, ses auteurs et ses implications. BONUS 🎁 Vidéo courte d’Alain Soral qui mélange et ne comprend pas les concepts et que j’analyse 🫣🤣

Résumé :
Le marxisme culturel français tisse une toile complexe, où les luttes d’idées se substituent aux combats des usines.
Loin des barricades et des chaînes de production, il s’inscrit dans une bataille pour l’imaginaire collectif, où le récit devient une arme, où la mémoire façonne les consciences.
Comme le disait Aristote, l’intelligence ne s’exerce pas directement sur les données brutes des sens, mais sur les formes ordonnées et conservées dans la mémoire.
Cette mémoire, bien plus que les livres d’histoire, est la Haute Culture, ce réservoir vivant de la vie commune, cette trame où s’entrelacent les récits, les symboles et les combats d’une nation.

C’est dans ce terreau que le marxisme culturel, porté par des penseurs comme Ernesto Laclau, a germé, transformant la lutte des classes en une stratégie d’hégémonie discursive.
Cet article explore les origines, les concepts, les auteurs et les implications de ce courant.

Les origines du marxisme culturel : une mutation du marxisme orthodoxe.
Le marxisme culturel trouve ses racines dans une remise en question du marxisme classique, celui de Karl Marx et Friedrich Engels.
Ces derniers voyaient dans la lutte des classes – l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat – le moteur de l’histoire.
Dans “Le Manifeste du Parti communiste » (1848), Marx écrivait : «l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.»
Cette vision matérialiste, où les rapports de production déterminent la superstructure idéologique et culturelle, a dominé la pensée socialiste jusqu’au XXe siècle.
Cependant, les échecs des révolutions prolétariennes, l’essor du capitalisme organisé et les bouleversements sociaux des années 1960 ont conduit à une révision profonde de cette doctrine.
(https://www.maxicours.com/se/cours/la-vision-marxiste-des-classes-sociales-et-les-conflits-de-classes/)

En France, berceau des idées révolutionnaires, ce virage s’est opéré dans le sillage des événements de Mai 68.

Les émeutes étudiantes, loin de se limiter à une révolte ouvrière, ont révélé une pluralité de luttes : féministes, écologistes, anticoloniales, culturelles.
Ces mouvements, souvent détachés des stricts cadres économiques, ont mis en lumière l’insuffisance du marxisme orthodoxe, accusé de déterminisme économique et de réductionnisme.
C’est dans ce contexte que des penseurs comme Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, dans leur ouvrage “Hégémonie et stratégie socialiste“ (1985), ont proposé une refonte théorique, baptisée «post-marxisme».

Ce courant ne rejette pas Marx, mais le reinterprète, déplaçant le champ de bataille des usines vers les arènes symboliques de la culture et du discours.

Le marxisme culturel, dans sa variante française, s’inspire également de figures comme Antonio Gramsci, dont le concept d’hégémonie a révolutionné la compréhension des rapports de pouvoir.

Pour Gramsci, l’hégémonie n’est pas seulement une domination économique ou militaire, mais une conquête des esprits par la culture, les idées et les récits.
La classe dominante maintient son pouvoir non seulement par la force, mais par le «consentement» des dominés, obtenu via des institutions culturelles comme l’école, les médias ou la littérature.
Cette intuition, reprise et amplifiée par Laclau et Mouffe, a donné naissance à une nouvelle stratégie socialiste, où le contrôle du narratif devient central.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Ernesto Laclau : la stratégie d’hégémonie et le pouvoir du récit.
Ernesto Laclau, philosophe argentin exilé en Europe, est l’une des figures majeures du post-marxisme.
Avec Chantal Mouffe, il a redéfini la lutte socialiste dans “Hégémonie et stratégie socialiste”, un ouvrage qui marque une rupture avec le marxisme orthodoxe.

Laclau rejette l’idée que la lutte des classes soit l’antagonisme central de la société, proposant à la place une vision pluraliste où divers antagonismes sociaux – qu’ils soient de classe, de genre, de race ou autres – s’articulent autour de «signifiants vides».
Ces signifiants, comme «justice», «liberté» ou «peuple», sont des concepts flous, capables d’unir des demandes sociales hétérogènes dans une chaîne d’équivalences.

Dans cet ouvrage, Laclau et Mouffe écrivent : «le fait que tel ou tel antagonisme soit considéré comme pertinent dépend d’une articulation contingente des identités sociopolitiques.»

Cette idée centrale rompt avec le déterminisme marxiste, qui voyait dans les rapports de production la cause ultime des conflits sociaux.
Pour Laclau, le social est indéterminé, construit par des pratiques discursives.
La société n’est pas un bloc monolithique, mais un champ de luttes où des récits concurrents s’affrontent pour imposer leur vision du monde.
Ainsi, la stratégie d’hégémonie socialiste ne vise plus à organiser une révolution prolétarienne, mais à construire un imaginaire collectif capable de fédérer des groupes disparates autour d’un projet commun.

Laclau s’inspire ici de Gramsci, mais va plus loin.
Si Gramsci ancre l’hégémonie dans les conditions matérielles de la lutte des classes, Laclau la détache de ce fondement, la rendant purement discursive.
«Le social est le résultat de l’articulation contingente d’éléments autour de certaines configurations sociales – blocs historiques – qui ne peuvent être prédéterminées par aucune philosophie de l’histoire», déclare-t-il dans une interview de 1988.

Cette approche, qualifiée de post-structuraliste, emprunte à la linguistique de Saussure et à la psychanalyse de Lacan pour penser le politique comme un jeu de significations, où le pouvoir se conquiert par la maîtrise des récits.
(https://www.contretemps.eu/post-marxisme-ernesto-laclau/)

La Haute Culture : mémoire vivante de la vie commune.
La Haute Culture, au sens où nous l’entendons ici, n’est pas seulement l’ensemble des chefs-d’œuvre littéraires ou artistiques, mais la mémoire vivante d’une communauté, le creuset où se forgent les récits qui donnent sens à la vie collective.

Cette mémoire n’est pas un simple dépôt d’archives, mais un processus dynamique, où les récits du passé et les espoirs du futur s’entremêlent pour façonner l’imaginaire collectif.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

En France, cette Haute Culture s’incarne dans des figures comme Victor Hugo, dont “Les Misérables” ne raconte pas seulement l’histoire d’un peuple, mais forge un mythe national de justice et de rédemption.
Elle se retrouve dans les chansons de Brel, les films de Godard, ou les pamphlets de Voltaire, qui tous participent à une conversation séculaire sur ce que signifie être français.
Le marxisme culturel, dans sa quête d’hégémonie, s’est emparé de cette Haute Culture pour y insuffler ses propres récits.

Les luttes pour l’égalité des genres, la reconnaissance des minorités ou la défense de l’environnement ne se contentent pas de revendications matérielles ; elles cherchent à réécrire la mémoire collective, à faire émerger un nouvel imaginaire où ces causes deviennent universelles.

Laclau, dans “La Raison populiste” (2005), souligne l’importance des «signifiants vides» dans ce processus.
Un terme comme «peuple» peut rassembler des groupes aux intérêts divergents – ouvriers, étudiants, paysans – en leur offrant une identité commune face à un adversaire désigné, comme «l’élite» ou «l’oligarchie».
Ce mécanisme, qui trouve un écho dans les mouvements populistes comme Podemos en Espagne ou La France Insoumise, illustre comment le marxisme culturel transforme la lutte des classes en une lutte pour le contrôle du récit collectif.
(https://laviedesidees.fr/Le-peuple-selon-Ernesto-Laclau)

Les auteurs du marxisme culturel français.
Outre Laclau et Mouffe, plusieurs penseurs français ont contribué à l’essor du marxisme culturel. Stuart Hall, bien qu’anglais, a profondément influencé les cultural studies françaises par son usage du concept gramscien d’hégémonie.
Dans ses travaux, Hall analyse les médias comme des «sites de conflictualité» où s’affrontent des visions du monde.
«Les discours médiatiques constituent des pratiques signifiantes qui participent à forger les imaginaires sociaux», écrit-il.

En France, cette approche a inspiré des intellectuels comme Pierre Bourdieu, dont les travaux sur la domination culturelle et le capital symbolique prolongent l’idée que le pouvoir repose sur la maîtrise des représentations.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Louis Althusser, figure majeure du marxisme structuraliste, a également joué un rôle clé.

Sa théorie des «appareils idéologiques d’État» – école, médias, Église – montre comment la classe dominante reproduit son pouvoir par des mécanismes culturels.
Bien que critique de l’humanisme marxiste, Althusser a pavé la voie à une compréhension plus nuancée de l’idéologie, que Laclau et Mouffe ont reprise en la débarrassant de son déterminisme économique.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Enfin, des historiens comme Michel Vovelle ou Robert Mandrou ont enrichi le marxisme culturel en développant le concept de «mentalités».
Ce terme, inspiré par Marx mais influencé par l’École des Annales, désigne les structures collectives de pensée qui façonnent les comportements sociaux.
En étudiant les mentalités révolutionnaires, Vovelle a montré comment la Révolution française fut autant une transformation culturelle qu’économique, un précédent pour les stratégies d’hégémonie culturelle.
(https://journals.openedition.org/chrhc/239)

Critiques et limites du marxisme culturel.
Le marxisme culturel, et particulièrement l’approche de Laclau et Mouffe, n’est pas sans critiques.
Les marxistes orthodoxes, comme Atilio Borón, reprochent au post-marxisme d’abandonner la lutte des classes au profit d’un «réductionnisme discursif» qui dissout les réalités matérielles dans un jeu de signes.
«La lutte pour le socialisme se volatilise dans les méandres stériles d’un discours insipide sur une démocratie radicale», écrit Borón.
Cette critique pointe le risque d’une dépolitisation, où la transformation sociale cède la place à des batailles symboliques sans ancrage concret.
(https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/050318/crise-recomposition-ou-liquidation-du-marxisme-chez-laclau)

D’autres, comme Jean-Claude Michéa, estiment que le populisme de gauche, inspiré par Laclau, ne remet pas en cause la centralité de la contradiction entre travail et capital.
Michéa défend une articulation entre lutte des classes et populisme, refusant l’opposition binaire proposée par les post-marxistes.
Enfin, des voix conservatrices dénoncent le marxisme culturel comme une entreprise de division sociale, accusée de promouvoir la «haine des classes» sous couvert de luttes identitaires.
(https://comptoir.org/2017/04/10/jean-claude-michea-le-concept-marxiste-de-lutte-des-classes-doit-etre-remanie/)

La Haute Culture comme champ de bataille.
Revenons à la Haute Culture, ce lieu où la mémoire collective se forge et se dispute.

En France, elle est à la fois un héritage et un champ de bataille.
Les récits de la Révolution, de la Résistance ou de Mai 68 continuent de nourrir l’imaginaire national, mais ils sont constamment réinterprétés.
Le marxisme culturel, en s’emparant de ces récits, cherche à les orienter vers un projet émancipateur.
Les mouvements féministes, par exemple, ne se contentent pas de revendiquer des droits ; ils réécrivent l’histoire pour faire émerger des figures oubliées, comme Olympe de Gouges, dans le Panthéon National.

Cette bataille pour la mémoire est poétique autant que politique.
Elle mobilise des images, des chansons, des films, qui touchent le cœur autant que l’esprit.
Comme le disait Gramsci, «l’hégémonie n’est pas automatique ; elle est le résultat d’une pratique historique, longue et dialectique».
Le marxisme culturel, en investissant la Haute Culture, transforme cette pratique en un art, où chaque récit est une brique dans l’édifice d’un nouvel imaginaire.
(https://www.contretemps.eu/post-marxisme-ernesto-laclau/)

Conclusion : vers une nouvelle synthèse.
Le marxisme culturel français, porté par des penseurs comme Laclau, Mouffe, Hall ou Althusser, est une tentative audacieuse de réinventer la lutte socialiste dans un monde où les usines ont cédé la place aux écrans, où les classes se fragmentent en identités plurielles.

En déplaçant le combat vers le terrain de la culture et du discours, il reconnaît que l’histoire ne se fait pas seulement dans les rapports de production, mais dans les récits qui donnent sens à la vie commune.

La Haute Culture, mémoire vive d’une nation, devient ainsi le théâtre d’une lutte d’hégémonie, où chaque mot, chaque image, chaque symbole compte.

Répétons à nouveau que comme le suggérait Aristote, c’est dans la mémoire que l’intelligence trouve ses formes.
Le marxisme culturel, en s’attaquant à cette mémoire, cherche à sculpter un nouvel imaginaire collectif, où la justice et l’émancipation ne sont plus des abstractions, mais des récits vivants, portés par un peuple en quête de sens.
Si cette entreprise peut sembler utopique, elle n’en est pas moins nécessaire : car, comme l’écrivait Laclau, «sans hégémonie, il n’y a pas de politique possible».

Que la France, avec sa riche tradition de révoltes et de rêves, continue d’écrire ce chapitre, dans la prose de ses poètes et la ferveur de ses combats.

——————————–

BONUS 🎁 Vidéo courte d’Alain Soral qui mélange et ne comprend pas les concepts et que j’analyse 🫣🤣

Transcription de la vidéo : «La bourgeoisie du capital ce que l’on appelle aux États-Unis le marxisme culturel qui est un terme impropre, qui est en fait un anti marxisme culturel.
C’est ce que chez nous on appelait le freudo marxisme tu sais, idéologie du désir et toutes ces conneries. Cela a donné le moment où les philosophes français sont devenus fous, tu sais, avec l’anti Oedique, les dispositifs pulsionnels. En fait cette révolution délirante s’est passée dans la haute philosophie en France dans les années 60 70 et puis elle est devenue une idéologie de masse aux États-Unis avec la cancel culture dans cette dernière décennie.» Alain Soral.

Alain Soral mélange et ne comprend pas les concepts qu’il aborde dans cette vidéo et nous allons l’analyser ci-dessous.

Il semble effectivement qu’il utilise le terme marxisme culturel de manière peu orthodoxe et qu’il le confond avec d’autres courants idéologiques ou philosophiques.
Voici une réflexion:

1. Marxisme culturel comme terme impropre et antimarxisme:

Soral rejette l’étiquette marxisme culturel comme étant mal appliquée, suggérant qu’elle désigne en réalité un antimarxisme.

Cela pourrait refléter son point de vue selon lequel ce qu’on appelle marxiste culturel aux États-Unis (souvent lié à l’École de Francfort ou à des critiques conservatrices) s’écarte des principes marxistes originaux, centrés sur la lutte des classes et les rapports de production.

Cependant, l’usage de l’expression marxisme culturel chez Soral reste confus car le marxisme culturel n’est pas un concept marxiste autoproclamé, mais une expression popularisée par des critiques (notamment d’extrême droite) pour décrire une influence de la pensée marxiste sur la culture via des figures comme Adorno ou Marcuse.

Soral semble ignorer cette origine et la réinterpréter à sa manière.

2. Confusion avec le freudo-marxisme :

En liant le marxisme culturel au freudo-marxisme (une synthèse entre les idées de Marx et de Freud, notamment via Wilhelm Reich ou Herbert Marcuse), Soral fait un amalgame.

Le freudo-marxisme explore les pulsions et le désir comme facteurs sociaux, mais il n’est pas équivalent au marxisme culturel tel que défini par ses détracteurs.

Soral semble y voir une idéologie décadente (« toutes ces conneries »), ce qui reflète sa critique habituelle des mouvements progressistes, mais cela montre aussi une méconnaissance des nuances théoriques entre ces courants.

3. Les philosophes français des années 60-70 et l’anti-œdipe :

Sa référence aux « philosophes français devenus fous » avec l' »anti-œdipe » et les « dispositifs pulsionnels » pointe vers des figures comme Gilles Deleuze et Félix Guattari, auteurs de « L’anti-Œdipe » (1972).

Ce texte, influencé par Freud mais critique de la psychanalyse traditionnelle s’inspire aussi de Marx pour analyser le capitalisme comme une machine délirante.

Cependant réduire le marxisme culturel à une « révolution délirante » trahit une simplification car Deleuze et Guattari ne s’inscrivent pas dans le marxisme culturel au sens américain, mais dans un courant post-structuraliste français.

Soral semble projeter sur eux une continuité avec ses propres critiques, sans saisir leur cadre.

4. Exportation aux États-Unis et cancel culture :

L’idée que cette « idéologie » serait devenue une « idéologie de masse » aux États-Unis avec la « cancel culture » dans la dernière décennie (soit les années 2010-2020) montre une autre distorsion.

La cancel culture, phénomène social amplifié par les réseaux sociaux, est liée à des dynamiques identitaires et progressistes, mais elle n’a pas de lien direct avec le freudo-marxisme ou les philosophes français des années 60-70.

Soral semble ici reprendre une narrative conservatrice américaine qui associe toute critique culturelle à un complot marxiste, sans preuves solides.

Soral ne maîtrise pas pleinement les concepts qu’il évoque.
Son discours mélange des éléments hétérogènes (freudo-marxisme, post-structuralisme français, cancel culture) sans les articuler de manière cohérente, ce qui donne l’impression d’une critique intuitive plutôt que d’une analyse rigoureuse.
Cela pourrait être dû à son style polémique, qui privilégie l’impact émotionnel sur la précision intellectuelle.

Il semble projeter ses propres obsessions (rejet du libéralisme culturel, critique des élites) sur des termes qu’il utilise de façon approximative.

Cela dit, sa déclaration reflète une vision personnelle où il perçoit une dérive de la pensée critique (qu’il associe à un antimarxisme) comme responsable des transformations sociales qu’il dénonce, sans pour autant s’appuyer sur une compréhension académique des sources qu’il cite.

Laisser un commentaire