La Franc-Maçonnerie au Brésil et les mystères de la « Bucha ».

La franc-maçonnerie, cette société “fraternelle” née dans l’Europe du XVIIe siècle, a traversé les océans pour marquer l’histoire du Brésil d’une empreinte indélébile. 

Dans un pays façonné par le colonialisme, les luttes pour l’indépendance et les aspirations républicaines, les loges maçonniques sont devenues des foyers d’idées révolutionnaires, réunissant des penseurs, des militaires et des politiciens. 

De l’Indépendance de 1822 à l’abolition de l’esclavage en 1888, en passant par la proclamation de la République en 1889, la maçonnerie a joué un rôle clé, souvent dans l’ombre. 

Mais son influence ne s’arrête pas là : des réseaux mystérieux, comme la Bucha do Lago de São Francisco, liée à la prestigieuse Faculté de Droit de São Paulo, exposent les liens entre la maçonnerie et les élites brésiliennes.

Plongeons dans l’histoire de la franc-maçonnerie au Brésil, explorons ses actions politiques majeures, ses anecdotes fascinantes, citations de figures emblématiques, et les connexions intrigantes avec la mystérieuse Bucha. 

À travers des sources historiques, nous tentons de lever le voile sur cette force discrète qui a façonné une nation.

Origines de la Franc-Maçonnerie au Brésil.

La franc-maçonnerie arrive au Brésil à la fin du XVIIIe siècle, portée par des colons portugais, des commerçants et des intellectuels influencés par les idéaux des Lumières européens. 

Dans un contexte de domination coloniale portugaise, où l’Église catholique et la Couronne imposaient un contrôle rigide, les loges maçonniques offraient un espace rare pour des discussions “libres”. 

La première loge documentée, « Comércio e Artes », fut fondée en 1815 à Rio de Janeiro, sous l’égide du Grande Oriente do Brasil (GOB), créé officiellement en 1822. 

Ces cercles attiraient des élites : avocats, marchands, militaires.

Les maçons s’inspiraient des révolutions française et américaine. 

Mais leur action restait secrète : la maçonnerie, perçue comme subversive, était surveillée par la Couronne et l’Inquisition. 

Malgré ces risques, les loges se multiplièrent, posant les bases d’une transformation historique.

Un Rôle Décisif dans l’Indépendance du Brésil.

Le 7 septembre 1822, Dom Pedro I, alors prince régent, proclame l’Indépendance du Brésil près du fleuve Ipiranga, lançant son célèbre cri : « L’indépendance ou la mort ».

Derrière ce moment emblématique se cache l’influence discrète de la franc-maçonnerie. 

Initié en août 1822 dans la loge « Comércio e Artes » sous le nom symbolique de « Guatimozin » (en hommage au dernier empereur aztèque), Dom Pedro I s’entourait de maçons influents, dont José Bonifácio de Andrade e Silva, surnommé le « Patriarche de l’Indépendance ».

José Bonifácio, un érudit et homme d’État, était un maçon convaincu. 

Il avait déclaré : «La franc-maçonnerie est l’école de la liberté où se forge les hommes qui construisent les nations.» (cité dans História da Maçonaria no Brasil, José Castellani, 1993). 

Dans les loges, des réunions secrètes mobilisaient des soutiens, planifiant la rupture avec le Portugal. 

Une anecdote révélatrice : avant la proclamation, Dom Pedro I avait assisté à une séance maçonnique où des frères l’ont convaincu de l’urgence d’agir, face à la menace d’une recolonisation par Lisbonne. 

Cette impulsion, mêlant courage et stratégie, a catalysé l’Indépendance.

Pourtant, la relation entre Dom Pedro I et la maçonnerie fut complexe. 

En 1822, craignant leur pouvoir, il ordonna la fermeture temporaire des loges, un paradoxe pour un initié. 

Mais l’impact des maçons perdura, insufflant des idéaux libéraux dans le jeune empire brésilien.

Abolition et République : La Maçonnerie en Première Ligne.

Au XIXe siècle, la franc-maçonnerie s’engage dans deux causes majeures : l’abolition de l’esclavage et la proclamation de la République. L’esclavage, pilier économique de l’Empire, était une aberration pour les maçons, attachés à l’égalité. 

Des figures comme Rui Barbosa, juriste et maçon, et Joaquim Nabuco, abolitionniste fervent, collaborèrent avec les loges pour soutenir des sociétés anti-esclavagistes. 

Rui Barbosa, rédacteur clé de la Lei Áurea (1888), qui libéra les esclaves, incarnait cet engagement. 

Une anecdote circule : dans les années 1880, des loges maçonniques du Nordeste finançaient en secret l’évasion d’esclaves, les cachant dans des propriétés de frères avant leur fuite vers des quilombos.

La proclamation de la République, le 15 novembre 1889, marque un autre jalon. Deodoro da Fonseca, premier président du Brésil et maçon, joua un rôle central. Il aurait consulté ses frères maçons pour assurer une transition pacifique, bien que des tensions avec les positivistes, comme Benjamin Constant (lui aussi maçon), aient compliqué le processus. 

Deodoro avait affirmé : «La République est née sous le signe de la fraternité maçonnique, unissant les hommes de bien pour le progrès du Brésil» (rapporté dans A Maçonaria e a República no Brasil, A. J. de Almeida, 1989). 

La Constitution de 1891, première de la République, porte la marque maçonnique : la séparation de l’Église et de l’État, un principe cher aux loges, y est gravée, brisant l’influence catholique héritée de l’Empire.

La Bucha do Lago de São Francisco : Un Lien Énigmatique.

Un chapitre intrigant de cette histoire concerne la « Bucha do Lago de São Francisco », une société secrète fondée en 1834 par des étudiants de la Faculté de Droit du Largo de São Francisco, à São Paulo. 

Surnommée « Bucha » en référence à un rituel présumé impliquant une « bucha » (éponge) trempée dans un lac symbolique, cette organisation visait à former une élite intellectuelle et politique pour diriger le Brésil. 

Ses membres, les « buchos », juraient loyauté, discrétion et engagement pour le progrès national.

Les parallèles avec la franc-maçonnerie sont frappants : structure hiérarchique, rituels secrets, et un accent sur la formation de leaders. 

De nombreux « buchos » étaient aussi maçons, comme Rui Barbosa, suggérant des chevauchements. 

Une anecdote fascinante entoure la Bucha : la légende raconte que ses membres se réunissaient la nuit près d’un lac artificiel au Largo de São Francisco, jurant sur une « bucha » de défendre les intérêts du Brésil, un écho des serments maçonniques. 

Un témoignage anonyme, attribué à un membre, proclame : «Nous sommes les gardiens du destin du Brésil, tels que le sont également nos frères maçons mais nous agissons dans les ombres de l’Académie» (rapporté dans A Bucha e a Formação das Elites Brasileiras, João Ricardo de Castro, 2005).

Mais la Bucha était-elle une extension de la maçonnerie ? Les preuves manquent pour l’affirmer. 

Les deux groupes partageaient des idéaux républicains et laïcs, et leurs membres se croisaient dans les cercles du pouvoir. 

La Bucha a produit des juristes, des gouverneurs et même des présidents, influençant la politique brésilienne, souvent en écho aux réseaux maçonniques. 

Pourtant, son caractère étudiant et local la distingue, alimentant les débats : complément ou concurrente de la maçonnerie ?

Actions Politiques au XXe Siècle : Discrétion et Résistance.

Au XXe siècle, l’influence maçonnique devient plus discrète, mais non moins pertinente. 

Les loges soutiennent des réformes sociales, comme l’éducation publique, et promeuvent la laïcité. 

Pendant la dictature militaire (1964-1985), certaines loges jouent un rôle audacieux. 

Une anecdote marquante : des maçons de Rio de Janeiro et de São Paulo auraient caché des opposants au régime, utilisant leurs propriétés et leurs réseaux pour protéger des militants. 

Un grand maître du Grande Oriente do Brasil aurait déclaré : «La maçonnerie ne fait pas la courvette pour le despotisme notre lutte est pour la lumière, même dans les ténèbres.» (cité dans Maçonaria e Política no Brasil, Marco Morel, 2010).

Dans les années 1980, la maçonnerie appuie la campagne « Diretas Já », réclamant des élections directes pour la présidence. 

Bien que moins visible, elle reste un espace de réflexion, réunissant des élites pour débattre de l’avenir du pays. 

La Franc-Maçonnerie Aujourd’hui : Un Héritage Vivant.

En 2025, la franc-maçonnerie demeure active au Brésil, avec des obédiences comme le Grande Oriente do Brasil, fondé en 1822, et d’autres loges régionales. 

Dans les années 2000 et 2010, des estimations informelles (par des sites maçonniques ou des chercheurs) évoquaient entre 100 000 et 200 000 maçons au Brésil, en incluant le GOB et d’autres obédiences (comme la Confederação da Maçonaria Simbólica do Brasil ou les loges indépendantes).

Le lien de la maçonnerie avec des réseaux comme la Bucha do Lago renforce le mystère, bien que les preuves d’une collusion restent ténues.

Conclusion.

La franc-maçonnerie a façonné le Brésil, de l’Indépendance à la République, en passant par l’abolition de l’esclavage. 

Des figures comme José Bonifácio, Deodoro da Fonseca et Rui Barbosa incarnent cet impact, tandis que des réseaux comme la Bucha do Lago de São Francisco soulignent les connexions complexes entre la maçonnerie et les élites. 

Les anecdotes—réunions secrètes pour l’Indépendance, refuges sous la dictature—et les citations passionnées révèlent une force à la fois discrète et puissante.

Comprendre le rôle de la maçonnerie, c’est éclairer l’histoire brésilienne. 

Et la Bucha ? Peut-être un écho, peut-être un mystère à part. 

À nous, lecteurs, de creuser plus loin.

Sources :  

Castellani, José. História da Maçonaria no Brasil, 1993.  

Almeida, A. J. de. A Maçonaria e a República no Brasil, 1989.  

Castro, João Ricardo de. A Bucha e a Formação das Elites Brasileiras, 2005.  

Morel, Marco. Maçonaria e Política no Brasil, 2010.  

Archives du Grande Oriente do Brasil.