Foucault sans Foucault : du panoptique à la paranoïa collective.

«La Haute Culture est l’autoconscience d’une société.
Elle embrasse les œuvres d’art, la littérature, l’érudition et la philosophie qui tracent le cadre de référence commun aux esprits éclairés.» 
Telle est la définition ciselée par Roger Scruton.
À peine l’eût-on énoncée qu’elle révèle, en France, un vide abyssal : cette essence s’est évanouie de nos rivages intellectuels bien avant l’aube du XXIe siècle. 

Le seul socle partagé qui subsiste, précaire et érodé, n’est plus que celui des médias de masse – ces temples du prêt-à-penser, bruissants de formules éculées, de solécismes assumés et de rengaines cognitives ressassées par une cohorte de commentateurs à peine lettrés. 

Au-delà, ne pullulent que des archipels subculturels, ignorants les uns des autres, unis non par un substrat de convictions ou de valeurs, mais par les contingences d’intérêts corporatistes, financiers ou politicards du moment.
Une culture des capitaines d’industrie et des thuriféraires de l’économie libérale ; une autre des catholiques intégristes, ressuscitant des rituels oubliés ; une troisième des activistes arc-en-ciel, brandissant les bannières de l’identité fluide ; une quatrième des robes noires du palais, ourdissant des plaidoiries byzantines.

Mais par-dessus tout, plane la culture des militants de la gauche postmoderne – ces insoumis éternels, écolos radicaux et intersectionnels zélés –, qui déploient, avec une ardeur machiavélique, l’arsenal du chantage moral, de l’intimidation numérique et des subventions occultes pour imposer leur hégémonie.
Ainsi transforment-ils leur bulle idéologique en un ersatz monstrueux de haute culture, le rempart le plus sournois contre toute culture authentiquement élevée. 

Scruton lui-même en sonde les fragilités : «La Haute Culture est une conquête fragile, qui ne survit que portée par le souffle d’une tradition vivante et l’assentiment des normes sociales environnantes.
Quand ces soutiens s’évaporent, elle cède la place à une culture de faux-semblants. La contrefaçon repose sur une connivence perverse entre l’imposteur et sa proie : ils ourdissent ensemble le mensonge d’une croyance feinte, le simulacre d’un sentiment qu’ils ne sauraient éprouver.» 

Ce constat, qui évoque irrésistiblement les pages glaçantes de la “Ponerologie” du Dr Andrew Łobaczewski – ce traité impitoyable sur l’hystérie collective qui gangrène une société dès lors que les psychopathes s’emparent des leviers du pouvoir –, trouve en France une illustration d’une acuité chirurgicale, emblématique de notre époque. 

Nul n’ignore que Michel Foucault reste l’un des phares – ou plutôt des ombres– les plus rayonnants dans les amphithéâtres des universités.
Ce pionnier d’un marxisme muté en hydre post-structuraliste imprègne les campus comme une doxa officielle, que l’élite académique française n’a pas seulement ingurgitée, mais remodelée en une variante si singulièrement gauloise qu’elle en devient presque folklorique.
Pourtant, comme le souligne un critique récent (https://www.researchgate.net/publication/364144219_How_Foucault_Got_Rid_of_Bossy_Marxism), Foucault, bien qu’évoluant dans le creuset de la théorie de gauche des années 1960 et 1970, où le marxisme régnait en maître, s’en est distancié, diluant l’analyse des classes en un jeu subtil de pouvoirs.

Karl Marx, on le sait, forgea l’idéologie selon laquelle les idées qui circulent ne seraient que les reflets déformés des intérêts objectifs des classes sociales. Certes, certaines le sont ; mais Marx postule que toutes le sont, que nul recoin de l’esprit n’échappe à cette partition binaire du champ mental entre «idéologie prolétarienne» et «idéologie bourgeoise». 

Pourtant, une faille béante mine cette édifice dès sa genèse : ou bien les idées et croyances d’un individu sont rivées à sa condition de classe, ou bien, appartenant à une caste, il peut, par un saut du raisonnement, embrasser l’idéologie adverse – comme le fit, précisément, le bourgeois prussien Karl Marx lui-même. Pour que cette transmutation ne soit pas un caprice irrationnel, une extase irraisonnée, il requiert un espace neutre, un no man’s land intellectuel d’où l’âme en péril scrute les idéologies belligérantes et élit son camp par pure souveraineté. 

Mais si tel saut est possible – et Marx en fut la preuve vivante –, alors l’idéologie personnelle s’affranchit de la dictature de classe, et l’expression «idéologie de classe» n’est plus qu’une métaphore creuse, un ornement rhétorique.
il est donc logique d’user de cette théorie avec une once de scepticisme, ou l’archiver au panthéon des utopies hasardeuses. 

Michel Foucault, loin de ce recul, opta pour l’exacerbation.
Poussée à l’extrême, sa radicalisation aboutit à ce verdict impitoyable : face à une idée ou une assertion, sa vérité ou son mensonge importe peu ; sa fidélité aux faits est vaine.
Seul prime le «schéma de pouvoir» qu’elle sert, et ces schémas se réduisent à deux : celui des «oppresseurs» et celui des «opprimés» – échos à peine voilés des «bourgeois» et «prolétaires» marxistes.

La simple aspiration à arbitrer les idées par leur conformité à la réalité n’est déjà qu’un «schéma» au service des tyrans.
La vérité ? Une illusion obsolète.

Le “philosophe”, libéré de ces chaînes, doit n’élire que ce qui gonfle les voiles du pouvoir opprimé.
Dans un récent débat sur l’influence foucaldienne, un analyste souligne que «Foucault est souvent présenté comme le penseur des micropouvoirs et le théoricien des dispositifs, ces perspectives permettant de discréditer l’étude des macropouvoirs traditionnels».
(https://journals.openedition.org/rsa/1755)

Évidemment, cette négation de la vérité se pare elle-même du manteau de la vérité absolute, sombrant dans un cercle vicieux qui, au bout du compte, ne profère que le vide.
Pourtant, un aveu s’impose : Foucault, qui proclamait la vérité abolie, la traquait avec une ferveur quasi mystique dans sa propre doctrine.
Ses vastes fresques sur le panoptique carcéral, les manicomes du XIXe siècle ou l’archéologie de la sexualité déploient un labeur titanesque pour ancrer, via faits et archives – hélas trop souvent romancés –, le lien entre idées et intérêts qu’il imputait aux foules. 

C’est ici que surgit le phénomène de notre époque, et tellement français,  que j’évoquais.
Dans les séminaires sorbonnards, les tribunes politiques ou les colonnes des journaux en ligne, l’intellectuel gauchiste typique – disons un fervent lieutenant de La France insoumise comme François Ruffin, qui, bien qu’ayant rompu avec le parti en 2024, incarne encore cette doxa, ou une idéologue comme Sophia Chikirou, affirmant récemment que «la liberté d’expression en Chine est aussi menacée que celle qu’on a en France» pour minimiser les oppressions ailleurs tout en exagérant celles ici – applique la leçon foucaldienne avec une créativité qui eût sidéré son maître : accuser un auteur ou un polémiste de cautionner tel «schéma de pouvoir», c’est-à-dire de relayer les intérêts d’un groupe social occulte, dispense d’enquêter sur deux points triviaux :
– (a) l’existence réelle de ce groupe ;
– (b) l’appartenance effective de l’accusé à ses rangs, ou même sa connivence avec ses desseins.
(https://www.marianne.net/politique/melenchon/promis-la-chine-n-est-pas-une-dictature-c-est-sophia-chikirou-qui-le-dit)

La réduction des idées à de simples masques d’un «schéma de pouvoir» s’érige en preuve souveraine de leur poison, sans exiger la moindre assisse sociologique tangible.
Si vos mots heurtent l’oreille complaisante de ces gardiens de la doxa, ils vous rattachent d’un trait de plume à une tribu fantôme, ou à une cabale sans lien avec le débat, et l’affaire est réglée.

La validité de votre propos s’évapore non par son ancrage dans votre propre milieu social, mais par son exil forcé vers une faction qui vous est étrangère, ou qui n’a jamais vu le jour.
Ruffin lui-même, dans sa critique de la stratégie de LFI, dénonce une «conception stalinienne de la classe», accusant le parti de racialiser le conflit de classe sans voir que ce conflit est déjà mythifié.
(https://www.politis.fr/articles/2024/10/intersections-francois-ruffin-la-classe-sociale-mythifiee/)

C’est précisément ainsi qu’opéra, en écho à une myriade de plumes progressistes n’ayant pas lésiné sur leurs diagnostics des tumultes récents, le texte d’orientation stratégique de La France insoumise pour son congrès de 2024.
Confronté aux flots humains des manifestations anti-Bayrou et anti-blocages économiques – ces marées de Français de tous horizons, âges et origines, sans chef charismatique ni appui des chaînes publiques, des syndicats ou des lobbies patronaux –, il diagnostiqua une machination ourdie par la «classe dominante», affirmant que « dans les médias dominants, la déontologie est aux abonnés absents et les accusations sans fondement et les mensonges sont légion. Cette stratégie de diabolisation de la France insoumise vise à limiter sa progression électorale et cherche à l’isoler pour maintenir la domination des partisans du système capitaliste, impérialiste et écocidaire« .
(https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/12/ORIENTATION-STRATEGIQUE-VDEF.pdf)

Pilotée, par tous les saints du ciel !, par le tandem BFM-TV et l’immonde Le Monde, qui s’acharnaient pourtant à rapetisser ces soulèvements et à les moquer sous cape. 

Dépouillée de ses atours sociologiques, fussent-ils les plus ténus, la théorie foucaldienne s’est muée en une arme paresseuse : accuser quiconque de n’importe quel chef d’accusation, puis regagner son alcôve l’âme en paix, certain d’avoir éventé un «schéma de pouvoir» monstrueux.

De la simulation hystérique, la gauche tricolore a glissé vers la mythomanie délirante.

Histoires qui font écho dans l’eternité. Entretien en français et portugais avec l’écrivain Yuri Vieira.

Discussion avec l’écrivain brésilien Yuri Vieira.

«Bienvenue, bienheureux !

Aujourd’hui, nous danserons sur le sentier socratique, où chaque question est une flamme qui déchire le voile des certitudes.

Nous chercherons la vérité qui murmure dans le cœur, entrelacée au divin.

Mais je vous le dis, amis : prenez garde, car dans ce voyage, nous affronterons le souffle glacé du nihilisme.

Pourtant, nous poursuivrons l’étincelle de l’âme immortelle.

Avec un humour sagace et de la profondeur, nous serons guidés par la voix de Yuri Vieira, mais aussi par sa plume, car il écrit des histoires qui résonnent dans l’éternité.

Préparez-vous à un festin d’idées, de rires et de « pintos grandes » (référence au livre de Yuri Vieira : « La sagesse du Docteur João Pinto Grande”).

Yuri, c’est un honneur – que la conversation s’épanouisse !»

Note 1 de Yuri : Je crois avoir mentionné le mauvais nom d’un auteur. Quand je cite le livre « L’Origine du langage » (en parlant des verbes à l’impératif), son auteur est en réalité Eugen Rosenstock-Huessy. (Je pense avoir dit Constantin Noica.)

Note 2 d’Antoine Bachelin Sena : J’étais très enrhumé, donc je m’excuse pour le bruit de mon nez de temps en temps. Nous ferons d’autres vidéos, si Dieu le veut, avec un nez en bonne santé et une bonne lumière de mon côté. Un salut à tous les bienheureux.

NOTAS 1 do Yuri : Creio que citei o nome errado de um autor. Quando cito o livro A Origem da Linguagem (quando falei de verbos no imperativo), seu autor na verdade é Eugen Rosenstock-Huessy. (Acho que disse Constantin Noica.)

NOTA 2 do Antoine Bachelin Sena : Estava muito gripado então peço desculpa pelo barulho do meu nariz de vez em quando. Faremos mais vídeos se Deus quiser com nariz bom e luz boa da minha parte. Um abraço a todos os bem aventurados.

Le “marxisme culturel” en France, ses origines, ses concepts, ses auteurs et ses implications. BONUS 🎁 Vidéo courte d’Alain Soral qui mélange et ne comprend pas les concepts et que j’analyse 🫣🤣

Résumé :
Le marxisme culturel français tisse une toile complexe, où les luttes d’idées se substituent aux combats des usines.
Loin des barricades et des chaînes de production, il s’inscrit dans une bataille pour l’imaginaire collectif, où le récit devient une arme, où la mémoire façonne les consciences.
Comme le disait Aristote, l’intelligence ne s’exerce pas directement sur les données brutes des sens, mais sur les formes ordonnées et conservées dans la mémoire.
Cette mémoire, bien plus que les livres d’histoire, est la Haute Culture, ce réservoir vivant de la vie commune, cette trame où s’entrelacent les récits, les symboles et les combats d’une nation.

C’est dans ce terreau que le marxisme culturel, porté par des penseurs comme Ernesto Laclau, a germé, transformant la lutte des classes en une stratégie d’hégémonie discursive.
Cet article explore les origines, les concepts, les auteurs et les implications de ce courant.

Les origines du marxisme culturel : une mutation du marxisme orthodoxe.
Le marxisme culturel trouve ses racines dans une remise en question du marxisme classique, celui de Karl Marx et Friedrich Engels.
Ces derniers voyaient dans la lutte des classes – l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat – le moteur de l’histoire.
Dans “Le Manifeste du Parti communiste » (1848), Marx écrivait : «l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.»
Cette vision matérialiste, où les rapports de production déterminent la superstructure idéologique et culturelle, a dominé la pensée socialiste jusqu’au XXe siècle.
Cependant, les échecs des révolutions prolétariennes, l’essor du capitalisme organisé et les bouleversements sociaux des années 1960 ont conduit à une révision profonde de cette doctrine.
(https://www.maxicours.com/se/cours/la-vision-marxiste-des-classes-sociales-et-les-conflits-de-classes/)

En France, berceau des idées révolutionnaires, ce virage s’est opéré dans le sillage des événements de Mai 68.

Les émeutes étudiantes, loin de se limiter à une révolte ouvrière, ont révélé une pluralité de luttes : féministes, écologistes, anticoloniales, culturelles.
Ces mouvements, souvent détachés des stricts cadres économiques, ont mis en lumière l’insuffisance du marxisme orthodoxe, accusé de déterminisme économique et de réductionnisme.
C’est dans ce contexte que des penseurs comme Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, dans leur ouvrage “Hégémonie et stratégie socialiste“ (1985), ont proposé une refonte théorique, baptisée «post-marxisme».

Ce courant ne rejette pas Marx, mais le reinterprète, déplaçant le champ de bataille des usines vers les arènes symboliques de la culture et du discours.

Le marxisme culturel, dans sa variante française, s’inspire également de figures comme Antonio Gramsci, dont le concept d’hégémonie a révolutionné la compréhension des rapports de pouvoir.

Pour Gramsci, l’hégémonie n’est pas seulement une domination économique ou militaire, mais une conquête des esprits par la culture, les idées et les récits.
La classe dominante maintient son pouvoir non seulement par la force, mais par le «consentement» des dominés, obtenu via des institutions culturelles comme l’école, les médias ou la littérature.
Cette intuition, reprise et amplifiée par Laclau et Mouffe, a donné naissance à une nouvelle stratégie socialiste, où le contrôle du narratif devient central.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Ernesto Laclau : la stratégie d’hégémonie et le pouvoir du récit.
Ernesto Laclau, philosophe argentin exilé en Europe, est l’une des figures majeures du post-marxisme.
Avec Chantal Mouffe, il a redéfini la lutte socialiste dans “Hégémonie et stratégie socialiste”, un ouvrage qui marque une rupture avec le marxisme orthodoxe.

Laclau rejette l’idée que la lutte des classes soit l’antagonisme central de la société, proposant à la place une vision pluraliste où divers antagonismes sociaux – qu’ils soient de classe, de genre, de race ou autres – s’articulent autour de «signifiants vides».
Ces signifiants, comme «justice», «liberté» ou «peuple», sont des concepts flous, capables d’unir des demandes sociales hétérogènes dans une chaîne d’équivalences.

Dans cet ouvrage, Laclau et Mouffe écrivent : «le fait que tel ou tel antagonisme soit considéré comme pertinent dépend d’une articulation contingente des identités sociopolitiques.»

Cette idée centrale rompt avec le déterminisme marxiste, qui voyait dans les rapports de production la cause ultime des conflits sociaux.
Pour Laclau, le social est indéterminé, construit par des pratiques discursives.
La société n’est pas un bloc monolithique, mais un champ de luttes où des récits concurrents s’affrontent pour imposer leur vision du monde.
Ainsi, la stratégie d’hégémonie socialiste ne vise plus à organiser une révolution prolétarienne, mais à construire un imaginaire collectif capable de fédérer des groupes disparates autour d’un projet commun.

Laclau s’inspire ici de Gramsci, mais va plus loin.
Si Gramsci ancre l’hégémonie dans les conditions matérielles de la lutte des classes, Laclau la détache de ce fondement, la rendant purement discursive.
«Le social est le résultat de l’articulation contingente d’éléments autour de certaines configurations sociales – blocs historiques – qui ne peuvent être prédéterminées par aucune philosophie de l’histoire», déclare-t-il dans une interview de 1988.

Cette approche, qualifiée de post-structuraliste, emprunte à la linguistique de Saussure et à la psychanalyse de Lacan pour penser le politique comme un jeu de significations, où le pouvoir se conquiert par la maîtrise des récits.
(https://www.contretemps.eu/post-marxisme-ernesto-laclau/)

La Haute Culture : mémoire vivante de la vie commune.
La Haute Culture, au sens où nous l’entendons ici, n’est pas seulement l’ensemble des chefs-d’œuvre littéraires ou artistiques, mais la mémoire vivante d’une communauté, le creuset où se forgent les récits qui donnent sens à la vie collective.

Cette mémoire n’est pas un simple dépôt d’archives, mais un processus dynamique, où les récits du passé et les espoirs du futur s’entremêlent pour façonner l’imaginaire collectif.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

En France, cette Haute Culture s’incarne dans des figures comme Victor Hugo, dont “Les Misérables” ne raconte pas seulement l’histoire d’un peuple, mais forge un mythe national de justice et de rédemption.
Elle se retrouve dans les chansons de Brel, les films de Godard, ou les pamphlets de Voltaire, qui tous participent à une conversation séculaire sur ce que signifie être français.
Le marxisme culturel, dans sa quête d’hégémonie, s’est emparé de cette Haute Culture pour y insuffler ses propres récits.

Les luttes pour l’égalité des genres, la reconnaissance des minorités ou la défense de l’environnement ne se contentent pas de revendications matérielles ; elles cherchent à réécrire la mémoire collective, à faire émerger un nouvel imaginaire où ces causes deviennent universelles.

Laclau, dans “La Raison populiste” (2005), souligne l’importance des «signifiants vides» dans ce processus.
Un terme comme «peuple» peut rassembler des groupes aux intérêts divergents – ouvriers, étudiants, paysans – en leur offrant une identité commune face à un adversaire désigné, comme «l’élite» ou «l’oligarchie».
Ce mécanisme, qui trouve un écho dans les mouvements populistes comme Podemos en Espagne ou La France Insoumise, illustre comment le marxisme culturel transforme la lutte des classes en une lutte pour le contrôle du récit collectif.
(https://laviedesidees.fr/Le-peuple-selon-Ernesto-Laclau)

Les auteurs du marxisme culturel français.
Outre Laclau et Mouffe, plusieurs penseurs français ont contribué à l’essor du marxisme culturel. Stuart Hall, bien qu’anglais, a profondément influencé les cultural studies françaises par son usage du concept gramscien d’hégémonie.
Dans ses travaux, Hall analyse les médias comme des «sites de conflictualité» où s’affrontent des visions du monde.
«Les discours médiatiques constituent des pratiques signifiantes qui participent à forger les imaginaires sociaux», écrit-il.

En France, cette approche a inspiré des intellectuels comme Pierre Bourdieu, dont les travaux sur la domination culturelle et le capital symbolique prolongent l’idée que le pouvoir repose sur la maîtrise des représentations.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Louis Althusser, figure majeure du marxisme structuraliste, a également joué un rôle clé.

Sa théorie des «appareils idéologiques d’État» – école, médias, Église – montre comment la classe dominante reproduit son pouvoir par des mécanismes culturels.
Bien que critique de l’humanisme marxiste, Althusser a pavé la voie à une compréhension plus nuancée de l’idéologie, que Laclau et Mouffe ont reprise en la débarrassant de son déterminisme économique.
(https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-4-page-87.htm)

Enfin, des historiens comme Michel Vovelle ou Robert Mandrou ont enrichi le marxisme culturel en développant le concept de «mentalités».
Ce terme, inspiré par Marx mais influencé par l’École des Annales, désigne les structures collectives de pensée qui façonnent les comportements sociaux.
En étudiant les mentalités révolutionnaires, Vovelle a montré comment la Révolution française fut autant une transformation culturelle qu’économique, un précédent pour les stratégies d’hégémonie culturelle.
(https://journals.openedition.org/chrhc/239)

Critiques et limites du marxisme culturel.
Le marxisme culturel, et particulièrement l’approche de Laclau et Mouffe, n’est pas sans critiques.
Les marxistes orthodoxes, comme Atilio Borón, reprochent au post-marxisme d’abandonner la lutte des classes au profit d’un «réductionnisme discursif» qui dissout les réalités matérielles dans un jeu de signes.
«La lutte pour le socialisme se volatilise dans les méandres stériles d’un discours insipide sur une démocratie radicale», écrit Borón.
Cette critique pointe le risque d’une dépolitisation, où la transformation sociale cède la place à des batailles symboliques sans ancrage concret.
(https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/050318/crise-recomposition-ou-liquidation-du-marxisme-chez-laclau)

D’autres, comme Jean-Claude Michéa, estiment que le populisme de gauche, inspiré par Laclau, ne remet pas en cause la centralité de la contradiction entre travail et capital.
Michéa défend une articulation entre lutte des classes et populisme, refusant l’opposition binaire proposée par les post-marxistes.
Enfin, des voix conservatrices dénoncent le marxisme culturel comme une entreprise de division sociale, accusée de promouvoir la «haine des classes» sous couvert de luttes identitaires.
(https://comptoir.org/2017/04/10/jean-claude-michea-le-concept-marxiste-de-lutte-des-classes-doit-etre-remanie/)

La Haute Culture comme champ de bataille.
Revenons à la Haute Culture, ce lieu où la mémoire collective se forge et se dispute.

En France, elle est à la fois un héritage et un champ de bataille.
Les récits de la Révolution, de la Résistance ou de Mai 68 continuent de nourrir l’imaginaire national, mais ils sont constamment réinterprétés.
Le marxisme culturel, en s’emparant de ces récits, cherche à les orienter vers un projet émancipateur.
Les mouvements féministes, par exemple, ne se contentent pas de revendiquer des droits ; ils réécrivent l’histoire pour faire émerger des figures oubliées, comme Olympe de Gouges, dans le Panthéon National.

Cette bataille pour la mémoire est poétique autant que politique.
Elle mobilise des images, des chansons, des films, qui touchent le cœur autant que l’esprit.
Comme le disait Gramsci, «l’hégémonie n’est pas automatique ; elle est le résultat d’une pratique historique, longue et dialectique».
Le marxisme culturel, en investissant la Haute Culture, transforme cette pratique en un art, où chaque récit est une brique dans l’édifice d’un nouvel imaginaire.
(https://www.contretemps.eu/post-marxisme-ernesto-laclau/)

Conclusion : vers une nouvelle synthèse.
Le marxisme culturel français, porté par des penseurs comme Laclau, Mouffe, Hall ou Althusser, est une tentative audacieuse de réinventer la lutte socialiste dans un monde où les usines ont cédé la place aux écrans, où les classes se fragmentent en identités plurielles.

En déplaçant le combat vers le terrain de la culture et du discours, il reconnaît que l’histoire ne se fait pas seulement dans les rapports de production, mais dans les récits qui donnent sens à la vie commune.

La Haute Culture, mémoire vive d’une nation, devient ainsi le théâtre d’une lutte d’hégémonie, où chaque mot, chaque image, chaque symbole compte.

Répétons à nouveau que comme le suggérait Aristote, c’est dans la mémoire que l’intelligence trouve ses formes.
Le marxisme culturel, en s’attaquant à cette mémoire, cherche à sculpter un nouvel imaginaire collectif, où la justice et l’émancipation ne sont plus des abstractions, mais des récits vivants, portés par un peuple en quête de sens.
Si cette entreprise peut sembler utopique, elle n’en est pas moins nécessaire : car, comme l’écrivait Laclau, «sans hégémonie, il n’y a pas de politique possible».

Que la France, avec sa riche tradition de révoltes et de rêves, continue d’écrire ce chapitre, dans la prose de ses poètes et la ferveur de ses combats.

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BONUS 🎁 Vidéo courte d’Alain Soral qui mélange et ne comprend pas les concepts et que j’analyse 🫣🤣

Transcription de la vidéo : «La bourgeoisie du capital ce que l’on appelle aux États-Unis le marxisme culturel qui est un terme impropre, qui est en fait un anti marxisme culturel.
C’est ce que chez nous on appelait le freudo marxisme tu sais, idéologie du désir et toutes ces conneries. Cela a donné le moment où les philosophes français sont devenus fous, tu sais, avec l’anti Oedique, les dispositifs pulsionnels. En fait cette révolution délirante s’est passée dans la haute philosophie en France dans les années 60 70 et puis elle est devenue une idéologie de masse aux États-Unis avec la cancel culture dans cette dernière décennie.» Alain Soral.

Alain Soral mélange et ne comprend pas les concepts qu’il aborde dans cette vidéo et nous allons l’analyser ci-dessous.

Il semble effectivement qu’il utilise le terme marxisme culturel de manière peu orthodoxe et qu’il le confond avec d’autres courants idéologiques ou philosophiques.
Voici une réflexion:

1. Marxisme culturel comme terme impropre et antimarxisme:

Soral rejette l’étiquette marxisme culturel comme étant mal appliquée, suggérant qu’elle désigne en réalité un antimarxisme.

Cela pourrait refléter son point de vue selon lequel ce qu’on appelle marxiste culturel aux États-Unis (souvent lié à l’École de Francfort ou à des critiques conservatrices) s’écarte des principes marxistes originaux, centrés sur la lutte des classes et les rapports de production.

Cependant, l’usage de l’expression marxisme culturel chez Soral reste confus car le marxisme culturel n’est pas un concept marxiste autoproclamé, mais une expression popularisée par des critiques (notamment d’extrême droite) pour décrire une influence de la pensée marxiste sur la culture via des figures comme Adorno ou Marcuse.

Soral semble ignorer cette origine et la réinterpréter à sa manière.

2. Confusion avec le freudo-marxisme :

En liant le marxisme culturel au freudo-marxisme (une synthèse entre les idées de Marx et de Freud, notamment via Wilhelm Reich ou Herbert Marcuse), Soral fait un amalgame.

Le freudo-marxisme explore les pulsions et le désir comme facteurs sociaux, mais il n’est pas équivalent au marxisme culturel tel que défini par ses détracteurs.

Soral semble y voir une idéologie décadente (« toutes ces conneries »), ce qui reflète sa critique habituelle des mouvements progressistes, mais cela montre aussi une méconnaissance des nuances théoriques entre ces courants.

3. Les philosophes français des années 60-70 et l’anti-œdipe :

Sa référence aux « philosophes français devenus fous » avec l' »anti-œdipe » et les « dispositifs pulsionnels » pointe vers des figures comme Gilles Deleuze et Félix Guattari, auteurs de « L’anti-Œdipe » (1972).

Ce texte, influencé par Freud mais critique de la psychanalyse traditionnelle s’inspire aussi de Marx pour analyser le capitalisme comme une machine délirante.

Cependant réduire le marxisme culturel à une « révolution délirante » trahit une simplification car Deleuze et Guattari ne s’inscrivent pas dans le marxisme culturel au sens américain, mais dans un courant post-structuraliste français.

Soral semble projeter sur eux une continuité avec ses propres critiques, sans saisir leur cadre.

4. Exportation aux États-Unis et cancel culture :

L’idée que cette « idéologie » serait devenue une « idéologie de masse » aux États-Unis avec la « cancel culture » dans la dernière décennie (soit les années 2010-2020) montre une autre distorsion.

La cancel culture, phénomène social amplifié par les réseaux sociaux, est liée à des dynamiques identitaires et progressistes, mais elle n’a pas de lien direct avec le freudo-marxisme ou les philosophes français des années 60-70.

Soral semble ici reprendre une narrative conservatrice américaine qui associe toute critique culturelle à un complot marxiste, sans preuves solides.

Soral ne maîtrise pas pleinement les concepts qu’il évoque.
Son discours mélange des éléments hétérogènes (freudo-marxisme, post-structuralisme français, cancel culture) sans les articuler de manière cohérente, ce qui donne l’impression d’une critique intuitive plutôt que d’une analyse rigoureuse.
Cela pourrait être dû à son style polémique, qui privilégie l’impact émotionnel sur la précision intellectuelle.

Il semble projeter ses propres obsessions (rejet du libéralisme culturel, critique des élites) sur des termes qu’il utilise de façon approximative.

Cela dit, sa déclaration reflète une vision personnelle où il perçoit une dérive de la pensée critique (qu’il associe à un antimarxisme) comme responsable des transformations sociales qu’il dénonce, sans pour autant s’appuyer sur une compréhension académique des sources qu’il cite.