Dans les brumes anglaises éternelles naquit un homme dont l’esprit était un jardin sauvage, un labyrinthe de beauté et de vérité.
Roger Scruton, ce chevalier errant de la philosophie, n’était pas un simple penseur ; il était un poète de l’âme, un barde conservateur qui chantait les louanges de ce qui est éternel face au chaos du moderne.
Né en 1944 dans le Lincolnshire, il grandit sous l’ombre de la guerre, cette grande faucheuse qui avait ravagé l’Europe, et porta en lui le poids d’une civilisation blessée, mais résiliente. Son existence fut un poème épique, une odyssée intellectuelle où la beauté, la tradition et la vérité s’entremêlaient comme les racines d’un chêne millénaire.
Scruton nous rappelle avec force que « le conservatisme part d’un sentiment que toutes les personnes matures peuvent aisément partager : le sentiment que les bonnes choses sont facilement détruites, mais non facilement créées » (“How to be a Conservative”, 2014). Cette phrase, gravée dans la sagesse de son œuvre, encapsule l’essence de son combat : préserver l’héritage fragile de l’humanité contre les assauts du temps et de l’idéologie.

Imaginez-le, jeune étudiant à Cambridge, entouré des murs chargés d’histoire, absorbant les essences de Kant, Hegel et Wittgenstein, non comme des dogmes arides, mais comme des élixirs vivifiants. Scruton transformait les idées en feu sacré illuminant les ténèbres de l’époque.
Sa première grande œuvre, «Art and Imagination» (1974), était déjà un hymne à la beauté transcendante, cette force qui élève l’homme au-delà de sa condition mortelle. Pour lui, la beauté n’était pas un caprice, mais un appel à l’ordre cosmique, un reflet de l’harmonie divine. « La beauté disparaît de notre monde parce que nous vivons comme si elle n’importait pas » («Beauty: A Very Short Introduction», 2011, p. xi). Cette lamentation résonne comme un cri face à la laideur de la modernité consumériste.
Le monde autour de lui se désagrégeait. Les révolutions culturelles des années 1960 et 1970 arrachaient les racines de la civilisation occidentale. Scruton vit dans le marxisme culturel une menace mortelle contre la tradition. Dans «Fools, Frauds and Firebrands: Thinkers of the New Left» (2015), il lança une charge contre les idoles de la gauche : Gramsci, Foucault, Althusser. « Les intellectuels sont naturellement attirés par l’idée d’une société planifiée, dans la croyance qu’ils en auront la charge » («Fools, Frauds and Firebrands», p. 7). Il dénonçait leur relativisme comme un poison dissolvant la vérité objective.

Scruton était un bâtisseur. Son conservatisme était une poésie de la préservation, un chant d’amour pour le précieux et le fragile.
Dans «How to be a Conservative» (2014), il dépeint le conservatisme comme une attitude poétique : respect pour l’héritage, gratitude pour les institutions, vigilance contre les utopies. Il inventa « oikophilia », l’amour du foyer, contre l’oikophobie des élites modernes. « Les êtres humains, dans leur condition établie, sont animés par l’oikophilia : l’amour de l’oikos, qui signifie non seulement la maison mais les personnes qu’elle contient » («How to be a Conservative», p. 19).
Sa vie personnelle était un poème tragique et héroïque. À la ferme de Sunday Hill, entouré de chevaux et de vignes, il écrivit «Green Philosophy» (2012), fusionnant écologie et conservatisme. Son amour pour Wagner et Beethoven était une symphonie intérieure. « Par la poursuite de la beauté, nous façonnons le monde comme un foyer, et ce faisant, nous amplifions nos joies et trouvons consolation pour nos chagrins » («Beauty», 2009, p. 146).
En 1982, il fonda la «Salisbury Review», bastion contre le politiquement correct. Chassé des universités britanniques, il enseigna clandestinement en Tchécoslovaquie, affrontant le totalitarisme. « La nature contradictoire des utopies socialistes explique la violence pour les imposer : il faut une force infinie pour faire faire aux gens ce qui est impossible » («Fools, Frauds and Firebrands», p. 23).
En 2019, une interview manipulée le dépeignit comme intolérant, mais il renaquit des cendres. La perte de la beauté mène à la perte de l’âme. « Notre besoin humain de beauté n’est pas un ajout redondant à la liste des appétits humains » («Beauty: A Very Short Introduction», p. 5).
Scruton voyait dans le christianisme le fondement de l’Occident. Dans «The Face of God» (2012), il explore le divin. « Une fois que nous distinguons race et culture, la voie est ouverte pour reconnaître que toutes les cultures ne sont pas également admirables » («How to be a Conservative», p. 37).

À la fin, frappé par le cancer, il laissa un testament poétique. Il s’éteignit en 2020, laissant plus de cinquante livres. Son influence persiste, au Brésil où le philosophe Olavo de Carvalho le promut, ou en Hongrie.
Plongeons dans «The Meaning of Conservatism» (1980). « Pour le conservateur, la contrainte doit être maintenue, jusqu’à ce qu’on prouve que la société n’en souffre pas par son retrait » (p. 6). La liberté sans institutions est aveugle. Le conservatisme naît du sentiment d’appartenir à un ordre social préexistant.
Scruton excelle sur le pouvoir : il n’est pas moyen vers la justice sociale, mais légitimité en soi. Les conservateurs souffrent d’un désavantage : leur position est vraie mais ennuyeuse, celle des opposants excitante mais fausse.
Dans «De l’urgence d’être conservateur» (traduction française de «How to be a Conservative»), il lie marché et morale : la confiance est essentielle. L’amitié modèle la société : les amis sont valorisés pour eux-mêmes.
Il défend l’éducation comme fin en soi, dénonce les définitions relatives de la pauvreté perpétuant l’illusion socialiste.
La haute culture est la conscience de soi d’une société, fragile et dépendante de la tradition.
Son legs est un appel à la beauté, à la tradition, à la vérité.
Roger Scruton, gardien poétique, nous laisse un jardin où l’âme peut fleurir éternellement.