Extrait du chapitre 126 intitulé «L’unité du réel» du livre «Cours de philosophie d’Olavo de Carvalho.»

Aristote dit dans la Métaphysique :
«Toutes ces choses les plus universelles sont, dans leur ensemble, les plus difficiles à connaître pour les hommes, puisqu’elles sont les plus éloignées des sens».

D’autre part, nous savons aussi par Aristote qu’avec la forme sensible vient la forme intelligible, le quid, qui donnera, à son tour, le concept universel.
Voilà un problème qu’Aristote n’a pas résolu et qui peut s’énoncer ainsi :
Tout ce qui existe, existe en tant qu’individualité & non en tant qu’existence collective, par contre, il n’y a de connaissance qu’au niveau de l’universel.
Il n’y a pas tant ici contradiction qu’une tension entre la manière d’être toujours individuelle et la manière de connaître, toujours générale.

La perception de la forme intelligible est faite par l’intelligence mais suit immédiatement les sens.
Cependant, en termes de validité des connaissances, la simple perception ne peut, à elle seule, servir de prémisse à un raisonnement logique.
Il faut la convertir en une forme verbale affirmative qui suit la forme sensible.

Et il n’est pas facile de montrer comment quelque chose d’aussi discontinu que les sens peut conduire à des concepts universels.
Les concepts universels ont une continuité, mais nous ne percevons que des choses discontinues, quelque chose où il y a un contraste.

Le «monde matériel» n’est pas du tout un monde, car si l’on ampute tous les liens invisibles et non sensibles qui l’articulent, il ne reste qu’une série de perceptions instantanées, séparées et incommunicables entre elles.
L’œil cligne et on sait qu’on n’a pas besoin de «refaire» toute l’image, malgré le fait qu’il y a un gouffre sensible entre les deux instants.
De plus, nous percevons le lien de continuité lorsque l’objet transite entre les sens lorsque quelque chose est visible devant nous et se cache ensuite dans la poche avec la main.
Entre la perception visuelle et la perception tactile, il y a une troisième chose qui nous fait savoir que l’objet reste le même et quelque chose d’autre n’est donné par aucune des deux précédentes.
Nous savons que chaque nouvelle perception provient de la même réalité et qu’il y a unité entre nous et l’objet, sinon nous ne pourrions entrer en relation avec lui.

L’unité du réel est présente dans tout ce que nous faisons, mais rien de tout cela ne peut être donné par la somme des données de tous les sens.
Nous ne pouvons joindre les données qu’en termes d’une unité précédente qui est supposée dans tout.
Ils supposent tous l’unité du réel mais leur fondement est problématique, ce qui introduit l’opportunité pour les sceptiques d’intervenir.

David Hume pensait qu’il était impossible de connaître l’unité du réel –ainsi que l’unité de notre personne– ni même de savoir si elle existe ou non. Nous croirions à cette unité seulement par habitude. Mais alors comment un «je» sans unité peut-il acquérir une habitude?

Pour Kant nous ne percevons pas l’unité du réel, ce qui existe est un schéma préexistant dans l’esprit humain (les formes à priori fonctionnant inconsciemment) qui opère sur les données fragmentaires du monde sensible et donne une forme unitaire, ce qu’eux-mêmes ne font pas.
Si tel est le cas, nous ne saurions jamais si cette unité est réelle ou non.
Kant dit que tous les hommes font cela, ce qui confèrerait au procédé une certaine validité mais non une véracité : nous pouvons tous nous tromper ensemble, comme disent les sceptiques.

L’académie a assumé cette hypothèse kantienne et a échangé la véracité contre le consensus et, ainsi, le monde objectif réel a été laissé entre parenthèses.
D’autres ont essayé de se réfugier dans la science disant qu’on ne peut admettre comme connaissance que ce qui est décrit par les sciences, mais ils ajoutent que l’être humain ne peut rien dire d’objectif, tout ce qu’il dit n’exprime que le fonctionnement de son propre cerveau.

C’est-à-dire qu’il est prévu que les hommes qui sont seuls capables de jeux intersubjectifs ont développé une science capable de connaissances objectivement valables, alors que, par l’hypothèse de départ, la science ne pouvait être qu’un autre jeu.

Rorty en a tiré la conclusion logique : si on ne peut rien prouver, on ne peut qu’essayer d’amener les autres à parler comme nous et + encore, il faut vraiment fabriquer le consensus.
La science consiste à émettre l’hypothèse qu’un certain champ de phénomènes obéit à une constante puis partir à la recherche de faits qui prouvent l’hypothèse.
Toute rigueur scientifique n’élimine pas les limites initiales qui dessinent non seulement l’univers observable mais aussi le type de constante à observer.
Kant avait raison lorsqu’il disait qu’en science la méthode invente l’objet, mais, de cette façon, rien de ce qui est étudié en science ne peut être dit réel, ce n’est qu’un simulacre d’objectivité projeté par la méthode, qui finalement est déjà une application technique.
On ne peut confondre l’unité de la réalité concrète, là où nous existons, avec l’unité abstraite d’un «tout» pris comme objet de théorie.

Livre : «Cours de philosophie par Olavo de Carvalho: une conversion des concepts généraux en expérience existentielle effective.»

Disponible en prévente ici et bientôt en version papier bien sûr : shorturl.at/cegZ8

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