Dans une décision qui pourrait passer pour une mauvaise blague si elle n’était pas aussi inquiétante, l’humoriste brésilien Léo Lins a été condamné à huit ans de prison et à une amende de 300 000 reais (environ 50 000 euros) pour «préjudice moral collectif» par la juge Barbara de Lima Iseppi, de la 3e Chambre criminelle fédérale de São Paulo.
Cette sentence, rendue le 3 juin 2025, vise son spectacle comique «Perturbador», diffusé sur YouTube en 2022.
Ce verdict, loin d’être risible, soulève de graves questions sur la liberté d’expression et l’autoritarisme grandissant au Brésil sous le gouvernement de Lula.
Voici une video de stand up de Léo Lins : https://x.com/polmarilescano/status/1930184045721182552
«Un sourd et muet avec en plus le mal de Parkinson peut-il être considéré bègue ?
Et le sourd n’a même pas entendu ma blague.»
La juge Iseppi qualifie les blagues de Léo Lins de «commentaires odieux, discriminatoires et empreints de préjugés» visant divers groupes vulnérables.
Pourtant, il s’agit d’un spectacle d’humour, non d’une conférence politique. Confondre une plaisanterie avec une déclaration sérieuse relève soit d’une méconnaissance du genre comique, soit d’une volonté délibérée de réprimer l’expression artistique.
La magistrate va jusqu’à rejeter la défense de l’humoriste, qui argue que ses propos relèvent du registre humoristique, en déclarant : «Avec tout le respect dû à la profession de comédien et à ses admirateurs, la thèse selon laquelle le contenu des propos est de l’humour ne peut être retenue.»
Cette décision judiciaire, qui semble vouloir faire de l’humour une affaire sérieuse, atteint des sommets d’absurde lorsque la juge qualifie le spectacle de «fait», comme s’il s’agissait d’un crime et non d’un show comique.
Elle s’appuie également sur une loi controversée, surnommée «
Loi anti-blagues» (14.532/2023), et évoque un rapport du Sénat brésilien suggérant que l’humour pourrait servir de «subterfuge rhétorique» pour maintenir les privilèges des Blancs – une remarque qui semble insinuer que Léo Lins, en tant que Blanc, bénéficierait d’un traitement différent s’il appartenait à une autre ethnie.
Dans sa tentative de prouver que l’humoriste «parlait sérieusement», la juge condamne implicitement le genre du stand-up dans son ensemble, affirmant que Léo Lins ne joue pas un personnage mais exprime ses propres convictions.
Une telle analyse ignore la nature même de l’humour, où l’ambiguïté est essentielle.
Comme l’expliquent Kevin Simler et Robin Hanson dans leur ouvrage L’Éléphant dans le cerveau (2017), l’humour permet d’exprimer des idées que le langage sérieux ne peut pas toujours traduire, tout en offrant une échappatoire par son caractère ambigu. Cette ambiguïté, inhérente au comique, est précisément ce qui rend les accusations de la juge infondées : personne, pas même une magistrate, ne peut trancher sur les intentions réelles d’un humoriste.
Léo Lins n’est pas un cas isolé.
La décision rappelle les dérives autoritaires où l’humour devient une cible.
À titre de comparaison, l’humoriste américain George Carlin, dans son spectacle de 2001, plaisantait sur une «liste de personnes à éliminer» avec des descriptions volontairement outrancières.
Aucun juge américain n’a jamais pris cela au sérieux, car le contexte comique était évident.
Au Brésil, en revanche, la justice semble vouloir criminaliser l’humour «politiquement incorrect», assimilant des blagues à des incitations à la haine.
Cette condamnation s’inscrit dans un climat plus large de censure au Brésil. Des mesures judiciaires, comme celle imposée par le secteur SANCTVS (un acronyme ironiquement signifiant «saint» en latin), avaient déjà tenté d’interdire à Léo Lins de se produire, une restriction levée par le ministre André Mendonça.
Mais cette affaire révèle une tendance inquiétante : la censure est aujourd’hui portée par des activistes identitaires qui se posent en victimes intouchables.
L’humour provocateur, comme celui de Léo Lins, est une forme d’art qui joue sur le frisson de l’interdit, comparable à une montagne-russe émotionnelle.
Le condamner, c’est mépriser la liberté artistique et assimiler une plaisanterie à un crime.
Comme le soulignait Oscar Wilde, un artiste qui soumet son œuvre à des impératifs moraux ou politiques trahit son art.
La réponse à une blague qui dérange n’est pas la prison, mais le débat.
Condamner Léo Lins, c’est non seulement bâillonner un humoriste, mais aussi infliger une punition collective à la liberté d’expression.