Djihad culturel et nihilisme.

Introduction.

Le penseur américain Philip Rieff, dans son dernier livre, « My Life Among the Deathworks » (University of Virginia Press, 2006), offre un cadre pour expliquer pourquoi le nihilisme contemporain pave la voie à une islamisation qui s’infiltre subtilement, alliée à des forces communistes et au marxisme culturel.

C’est une djihad culturelle qui loin d’être une simple conquête militaire, opère sur le long terme par une guerre psychologique, idéologique et spirituelle, exploitant les faiblesses de l’Occident sécularisé.

Pour comprendre ce phénomène, prenons de la hauteur avec une vue d’ensemble et partons d’une analyse de la culture comme expression d’un ordre divin, inspirée des travaux de Philip Rieff.

L’ordre sacré et le nihilisme occidental.

Dans l’évolution historique de l’Occident, Rieff identifie trois ordres sacrés successifs, qu’il appelle des «mondes».

  • Dans la culture du monde ancien, gréco-romain, des puissances spirituelles supra-humaines et infra-humaines encadraient l’homme dans un ordre cosmique qui se traduisait en ordre social sous la notion générale de «destin».
  • Dans le monothéisme chrétien, la lecture des symboles devient plus subtile et en même temps plus exigeante, instaurant l’engagement de la «foi» et la lutte permanente de l’homme pour rester intégré dans l’ordre divin
  • La troisième culture, ou «troisième monde», se forme sous nos yeux mêmes, et sa différence avec les deux précédentes est radicale : pour la première fois dans l’histoire humaine, les élites culturelles tentent de construire un ordre social sans ordre sacré, ou plutôt contre tout ordre sacré. L’expérience, insiste Rieff, est inédite.

Commentant le livre dans « l’Intercollegiate Review« , R. R. Reno, particulièrement qualifié pour analyser le sujet en raison de son expérience antérieure dans « Ruins of the Church : Sustaining Faith in an Age of Diminished Christianity » (2002), observe qu’il s’agit d’imposer à toute l’humanité l’usage de remèdes jamais testés.

Les principes de la nouvelle civilisation peuvent se résumer en trois énoncés :

  • 1) Toute prohibition est prohibée.
  • 2) Toute répression doit être réprimée.
  • 3) La seule vérité est qu’il n’existe pas de vérité.

Ce qui reste au fond du nihilisme est l’hédonisme, mais il serait vain d’essayer de construire – ou de défendre – une civilisation sur cette base. L’hédonisme attire les intérêts, mais n’est pas source d’autorité. Il est lui-même un nihilisme en version light. Les publicités de restaurants ne peuvent rien contre la vigueur du protesto islamique.

L’incapacité absolue de la social-démocratie laïque à résister à l’invasion culturelle islamique est déjà plus que démontrée en pratique. Je n’insisterai pas là-dessus. Les intéressés liront « Eurabia : The Euro-Arab Axis » de Bat Ye’or (Farleigh Dickinson University Press, 2005), « The Death of the West » de Patrick J. Buchanan (St. Martin’s Press, 2002) et « The Abolition of Britain » de Peter Hitchens (Encounter Books, 2000), à titre d’exemples seulement.

La faiblesse incurable de ce qui fut un jour «l’Occident» provient du fait que, vidés du contenu vital qu’ils recevaient de la tradition chrétienne, les principes mêmes qui incitent les intellectuels européens à défendre leurs pays contre la tyrannie islamique – la démocratie, le progrès capitaliste, la liberté d’expression, la primauté du consommateur et les conforts de la prévoyance sociale – deviennent des instruments de corrosion des identités nationales et de la capacité de défense culturelle. Et depuis longtemps, les stratèges islamiques ont perçu comment opérer cette inversion et cette subversion, sinon ils n’auraient pu concevoir la «guerre asymétrique» ni l’usage massif de l’immigration comme arme de combat.

Reste donc valide – malgré des erreurs de détails, concernant par exemple la Chine – l’analyse faite en 1924 par René Guénon (lui-même musulman) dans « Orient et Occident« , selon laquelle l’Occident n’aurait, à partir de ce moment-là, que trois chemins à choisir :

  • la reconquête de la tradition chrétienne ;
  • la chute dans la barbarie et des conflits ethniques sans fin ;
  • l’islamisation générale.

Ceux qui prétendent défendre l’Occident sur la base du laïcisme ou de l’athéisme ne font qu’aider à renforcer la deuxième alternative, face à laquelle la troisième peut surgir, un jour ou l’autre, même comme alternative humanitaire.

La «civilisation laïque» n’est pas une promesse de vie : elle est l’agonie d’une humanité déclinante qui, une minute avant la mort, finira par implorer le secours de l’islam.

Mais la force de l’invasion islamique ne repose pas seulement sur la faiblesse de l’adversaire. Il y a un pouvoir effectif, «actif» pour ainsi dire, intrinsèque au message islamique, qui le rend particulièrement apte à s’approprier un corps civilisationnel affaibli par le nihilisme.

C’est que l’islam lui-même a un fond «nihiliste». Mahomet détruisant les idoles de la Kaaba est l’avènement d’un monothéisme abstrait qui balaie de la planète les symboles visibles du divin et les remplace par le culte disciplinaire de l’absolument invisible.

L’islam repose avant tout sur un ensemble de règles de communauté, ce qui est un paradigme totalement opposé et différent de la chrétienneté visant quant à elle une intimité personnelle et individuelle unique avec Dieu. C’est un point non compris par des analystes de surface.

L’interdiction radicale des images équivaut à une politique de terre brûlée spirituelle où seul ce qui reste pour attester la présence divine est l’appel auditif d’un substantif abstrait (Allah ne signifie pas proprement «Dieu», nom propre, mais «la divinité»). Dans les mosquées, l’équivalent de l’autel est le mihrab, un espace vide creusé dans le mur, désignant la divinité éternellement absente et inaccessible.

Dans l’islam, il n’existe ni le peuple élu, attestant à travers l’histoire la continuité de la prophétie, le dialogue permanent entre l’homme et Dieu, ni l’Incarnation par laquelle le divin habite parmi nous comme notre égal et notre frère. Le cycle de la prophétie est clos : Dieu a parlé pour la dernière fois à Mahomet et ne parlera plus jusqu’à la fin des temps. Le silence n’est rompu que par l’appel des muezzins du haut des minarets, convoquant l’humanité à se prosterner devant l’Éternel Absent qui, face à la nullité de la Terre, devient le seul Présent.

Et Dieu, selon l’islam, n’a jamais été parmi nous : ce n’était qu’une apparence, ou mieux, une apparition. Noble et spirituelle autant qu’on voudra, mais apparition. La ilaha illa Allah, «il n’y a de dieu que Dieu» – tout le reste est, à proprement parler, inexistant. Seul existe Dieu, insaisissable et incorporel – et, de l’autre côté, le Néant. Dans un monde vidé par le nihilisme, l’islam devient selon eux, la seule religion viable.